Arrachage de vignes en Gironde : la reconversion du vignoble bordelais
Depuis deux ans, le vignoble bordelais connaît une transformation sans précédent. Face à un marché saturé, à la chute des prix du foncier et à la baisse de la consommation, des milliers de viticulteurs choisissent d’arracher leurs vignes. Mais une fois les ceps déracinés, une question demeure : que faire de ces terres viticoles mises à nu ?
Un vignoble en crise structurelle
La Gironde, cœur historique du vignoble bordelais, voit aujourd’hui son territoire viticole se réduire à vue d’œil. Plus de 5 000 producteurs ont déposé une demande de prime d’arrachage définitif, dans le cadre du plan national surnommé « arrachage Ukraine ». Avec des prix fonciers en chute libre – autour de 5 000 € l’hectare en appellation Côtes-de-Bourg – et un marché du vin saturé, le Bordelais s’apprête à passer sous la barre des 100 000 hectares.
Cette opération fait suite à une première campagne d’arrachage sanitaire lancée en 2023 pour lutter contre la flavescence dorée. Mais au-delà de la conjoncture, c’est tout un modèle agricole et économique qui s’interroge.
Entre renaturation et diversification : deux chemins opposés
Les viticulteurs doivent choisir entre deux voies :
- La renaturation, qui consiste à laisser la terre se régénérer naturellement pendant vingt ans, souvent via le reboisement ou la jachère ;
- La diversification, qui vise à transformer les anciens vignobles en nouvelles cultures rentables : oliviers, asperges, kiwis, noisettes, fraises ou encore maraîchage.
L’État a mobilisé 38 millions d’euros pour accompagner cette transition, et l’interprofession viticole a dégagé 19 millions d’euros pour financer des projets agricoles alternatifs. Mais dans les faits, les résultats restent incertains : le coût de l’arrachage (≈2 000 €/ha) absorbe déjà la moitié des aides, et la reconversion demande souvent de nouvelles compétences et débouchés commerciaux.
La forêt, nouvel horizon du Bordelais ?
La filière bois apparaît comme la première bénéficiaire de cette mutation. Avec près de 437 000 hectares de forêts déjà présents en Gironde, les coopératives forestières proposent aux viticulteurs de replanter en pins, chênes ou feuillus, avec jusqu’à 80 % des coûts pris en charge.
Dans certaines communes comme Gauriac, les élus expérimentent des projets écologiques. Le maire, Raymond Rodriguez, a arraché une ancienne vigne communale pour y créer une forêt nourricière, mêlant arbres fruitiers, artichauts et bambous. Objectif : restaurer les sols, gérer naturellement l’eau et tester la permaculture. Des analyses de sol sont toutefois nécessaires pour mesurer les taux de cuivre et de métaux lourds hérités des traitements phytosanitaires.
Vitiforesterie, chanvre, oliviers : des pistes prometteuses mais fragiles
Certains producteurs n’attendent pas les aides publiques. À Lapouyade, Benoît Vinet, viticulteur bio, pratique depuis 2008 la vitiforesterie — la plantation d’arbres fruitiers au milieu des vignes pour préserver les sols et la biodiversité. Inspirée par des pionniers comme le Château Cheval Blanc, cette méthode séduit sur le plan écologique, mais reste difficile à rentabiliser économiquement.
D’autres envisagent la culture du chanvre, des oliviers ou des noisettes, mais les marchés demeurent fragiles. Et sans système d’irrigation fiable, beaucoup de ces projets restent à l’état d’espoir.
Le précédent du Languedoc : une leçon à méditer
Le département de l’Hérault a déjà connu une crise similaire : entre 1980 et 2011, la moitié de son vignoble a été arrachée. Une étude de la Revue géographique des pays méditerranéens montre qu’à long terme, 19 % des parcelles ont été replantées en vigne, 18 % converties en grandes cultures, mais plus de 50 % sont restées en friches.
Ces friches, parfois agricoles, parfois urbaines, ont durablement modifié le paysage rural. Aujourd’hui, la loi ZAN (Zéro Artificialisation Nette) rend ces reconversions encore plus complexes.
L’exemple inspirant de la grenade en Occitanie
Certains réussissent néanmoins leur diversification. À Pinet, dans l’Hérault, le viticulteur Pierre Colin a planté dès 2012 500 grenadiers bio et créé la Fédération des producteurs de grenades, qui regroupe désormais 200 hectares de vergers dans le sud de la France. Son objectif : obtenir une Indication Géographique Protégée (IGP) « Grenades d’Occitanie France ».
Il rappelle une vérité essentielle : « Sans eau, pas de diversification possible ». La réussite de cette filière repose sur la structuration complète de la chaîne de valeur, de la production à la transformation en jus et confitures.
Une transition nécessaire mais douloureuse
Le Bordelais traverse une mutation profonde. L’arrachage des vignes, symbole de déclin pour certains, pourrait devenir une opportunité de renaissance pour d’autres — à condition de repenser le modèle économique, écologique et humain du territoire.
La reconversion du vignoble ne se résumera pas à un simple changement de culture. Elle nécessitera une vision collective, une maîtrise environnementale et une filière de valorisation solide. Car si la vigne disparaît, c’est tout un paysage culturel et économique millénaire qui vacille.
Chez Ovinia, nous croyons que la valeur du vin ne réside pas seulement dans la bouteille, mais aussi dans la préservation du patrimoine viticole et des hommes qui le font vivre.